Le 11 septembre 2020, j’ai
secrètement fondu en larmes à l’annonce de la mort de Roger Carel, acteur et
comédien de doublage âgé de 93 ans, dont la voix extraordinaire a bercé toute
mon enfance. Cet évènement faisait curieusement écho au souvenir de la chute
des tours jumelles du World Trade Center lors des attentats-suicides du réseau
djihadiste Al-Qaïda. Comme si le silence du peuple américain recueilli sur les
lieux de la catastrophe répondait à nouveau aux cris des victimes en feu parmi
les sirènes hurlantes des pompiers de New York.
Roger Carel avait un timbre de
caméléon dont toutes les modulations lui ont permis d’incarner une multitude de
merveilleux personnages : Peter Sellers dans les Panthère rose, le droïde
C-3PO avec son ton et ses manières de majordome anglais dans la saga Star
Wars, Kermit la grenouille dans le Muppet Show, Astérix dans les
adaptations animées de la bande dessinée, le comique britannique Benny Hill,
l’inspecteur Hercule Poirot, l’extra-terrestre poilu Alf. Et bien sûr les animaux
des films Disney : Mickey Mouse, Winnie l’ourson, le serpent Kaa dans Le
Livre de la Jungle, le chat de Chester dans Alice au pays des
merveilles,... Toutes ces mythiques voix emprunteront désormais d’autres canaux que la télévision ou le cinéma : nous pourrons les retrouver via les écrans d’ordinateurs et les téléphones portables.
Je me souviens que seuls les
disques parvenaient à m’endormir lorsque j’étais enfant. En effet, une fois
couchée au lit, j’attendais le baiser de ma mère avec l’impatience du petit
Marcel Proust face aux angoisses de la nuit. Elle allumait alors le
tourne-disque, déposait délicatement l’aiguille du diamant sur les sillons d’un
vinyle que nous avions choisi ensemble, tournait les talons tandis qu’un grésillement
fébrile annonçait l’arrivée imminente des personnages. Les ombres de la fiction
s’animaient enfin derrière mes paupières comme une lanterne magique s’apprête à
faire lentement défiler les rêves à venir.
Chez ma mère, j’étais très
attachée aux nuances de ton de la chanteuse d’opéra Marilyn Horn dans Carmen
(la version de Leonard Bernstein), au swing indolent de l’ours Balou dans Le Livre
de la Jungle, à la diction parfaite de Gérard Philippe dans ses lectures émouvantes
de Pierre et le loup ou Le Petit Prince.
Chez mon père, j’écoutais les
chansons culottées de Georges Brassens, les calembours de Bobby Lapointe, les tubes aux
éclats aigus de Kate Bush. J’ai une fois surpris papa en train de pleurer à
l’écoute du titre Norma de La Callas. Il m’avait soudain confié :
« il n’y a qu’elle qui puisse autant me bouleverser !». Quel
incroyable pouvoir de sorcière exerçait-elle sur lui alors qu’il savait si bien
nous dissimuler ses émotions !
La voix est indéniablement la signature de notre identité, c’est pourquoi je suis restée si sensible à cet instrument de charme.
Le célèbre « Aie confiance » du serpent Kaa dans Le Livre de la Jungle. |