Beau livre publié en 1958 avec une lithographie de Valentine Hugo en frontispice (Editions André Sauret) |
Le roman de Raymond Radiguet se tient bien droit
parmi les ouvrages de seconde main alignés en rang serré dans la malle d’un
vide-grenier sur le Cours Julien à Marseille. Il n’a pas honte de sa
couverture surannée ni de ses feuilles jaunies. Alors
que je m’approche de lui pour évaluer la qualité de son style, il m’invite à franchir, à travers ses pages, la porte de la chambre des amants. Il me fait la promesse de partager le secret intime de leurs corps qui se désirent et se consument sous le feu de la passion.
Dans Le
Diable au corps, un jeune-homme de quinze ans (sans nom), étudiant au lycée
Henri IV à Paris, fréquente en cachette Marthe Lacombe, une peintre âgée de dix-huit ans. Celle-ci est fiancée à Jacques, un soldat parti combattre au front pendant
la seconde guerre mondiale. Les amants sont heureux jusqu’à ce que le héros maudisse
son âge : « Il m’empêchait de
m’appartenir », ait le sentiment de n’être qu’un passe-temps ou
« un caprice dont elle pourrait se
détacher du jour au lendemain », connaisse la jalousie et le remords : « J’en voulais à Marthe, parce que je
comprenais, à son visage reconnaissant, tout ce que valent les liens de la
chair. Je maudissais l’homme qui avait avant moi éveillé son corps (…) Je ne hais
pas Jacques. Je hais la certitude de tout devoir à cet homme que nous trompons.
Mais j’aime trop Marthe pour trouver notre bonheur criminel ".
Les familles des deux protagonistes gardent le
secret de leur liaison afin d’éviter tout scandale car Marthe, en plus d’être
une femme adultère, pourrait être accusée de détournement de mineur. Puisqu’ils ne doivent pas s’exposer aux regards des voisins, ils cherchent un hôtel où
se réfugier : « J’aime mieux,
murmura-t-elle, être malheureuse avec toi qu’heureuse avec lui. Voilà de ces
mots d’amour qui ne veulent rien dire, et que l’on a honte de rapporter, mais
qui prononcés par la bouche aimée, vous enivrent (…). Ces mots contenaient-ils
un reproche inconscient ? Sans doute, Marthe, parce qu’elle m’aimait ;
connut-elle avec moi des heures dont, avec Jacques, elle n’avait pas idée, mais
ces moments heureux me donnaient-ils le droit d’être cruel ? ».
Le héros, qui ne s’imagine pas vivre sans la femme qu’il aime, est paniqué à
l’idée d’une future séparation : « Je
n’avais pas le pied marin pour la souffrance. Du reste, je ne crois pouvoir
comparer mieux qu’au mal de mer ces vertiges du cœur et de l’âme. La vie sans
Marthe, c’était une longue traversée ».
A partir de la quête d'un lieu sûr où le couple pourrait s'aimer, le lecteur ne
cesse d’être emporté dans un tourbillon de drames. Marthe, enceinte de son
amant, accouche d’un petit garçon à qui elle donne le prénom - toujours inconnu - du héros. Elle contracte ensuite une mystérieuse maladie. Jacques, alerté de la mauvaise santé de sa femme, revient du front peu de temps avant qu'elle ne meure. Après avoir fait une syncope à l'annonce de la terrible nouvelle, le héros se console en voyant Jacques, ce veuf si digne, adopter tout naturellement l'enfant dont il ne peut douter d’être le père naturel : "Ma femme est morte en l'appelant. Pauvre Petit! N'est-ce pas ma seule raison de vivre". Les derniers mots reviennent au héros qui s'est toujours senti coupable d'arracher Marthe à un destin paisible : "Ne venais-je pas d'apprendre que Marthe était morte en m'appelant, et que mon fils aurait une existence raisonnable ?".
Ce roman, paru en 1923, est très émouvant et admirablement bien écrit. Le lecteur attentif pourra d'ailleurs noter de nombreuses occurrences du subjonctif imparfait, temps peu usité, de
surcroit chez un auteur aussi jeune que Raymond Radiguet qui n’a pas dix-huit ans (il est emporté à vingt ans d'une fièvre typhoïde). Son grand ami, Jean Cocteau, affirme qu'il partage avec Arthur Rimbaud : « le terrible privilège d’être un phénomène
des lettres françaises ». En effet, la publication du Diable au corps provoque un grand
scandale car la guerre apparaît comme la condition même du bonheur des amants
et porte atteinte au respect sacré dû au soldat.
Pour lire le texte intégral :
http://catalog.lambertvillelibrary.org/texts/French/radiguet/diable/french/diable.htm
Pour lire le texte intégral :
http://catalog.lambertvillelibrary.org/texts/French/radiguet/diable/french/diable.htm
Raymond Radiguet peint par Amedeo Modigliani (1915) |
Raymond Radiguet dessiné par Pablo Picasso (17 décembre 1920) |
Valentine et Jean Hugo (arrière petit-fils de Victor Hugo), tous deux peintres, entourent leur ami, Raymond Radiguet, dans un décor de paquebot au Magic-City (1921) |
Raymond Radiguet endormi dessiné par Jean Cocteau (1922) |
Préface de Jean Cocteau |
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