« J'ai cru que j'étais né au terme d'un voyage que je n'avais pas fait,
et que je ne pouvais accomplir qu'à rebours ».
Né en 1968 à Provins en Seine-et-Marne,
Dominique Ané est connu sous son nom de chanteur : Dominique A. Il est
l'auteur d’une dizaine d’albums dont La
Fossette qui donna, en 1992, un son et un souffle nouveaux à la scène
française.
Longtemps, Dominique a cru que Provins
était le seul bout du monde possible : "l'unique
port au seuil d'une mer qui n'existait pas ». La ville, cernée par les
champs de betteraves, lui apparaissait comme un décor gothique immuable avec ses
remparts en ruines, la Tour César (autrefois une prison), les rues d’une
« tristesse dont il est difficile de
se soustraire », les gens silencieux marchant sous la pluie et les
lancers de faucons lors des fêtes médiévales.
Dominique grandit au sein d’une famille prolétaire
et unie qui vit rue des Marais au-dessus d'une école primaire. Son père est
instituteur à Champbenoist et peint des paysages de montagne. Sa mère est au
foyer. Dès la petite enfance, il ressent une grande tristesse lorsqu’un évènement
gai se termine, en particulier quand il entend le générique de fin de l’épisode
de Bonne nuit les petits :
« La pilule ne passe pas: les choses
finissent. J'en ai très tôt conscience. A peine commence-t-on à en profiter
qu'il faut y renoncer. Quand ce que j'attendais se produit, j'anticipe
l'épreuve de la fin; je devance la déception qui en découle, afin d'en atténuer
les effets ».
A l’école, il a peur des camarades qui se moquent de sa douceur et de sa vulnérabilité et le frappent facilement : « Je ne peux qu’avoir le cran d’accepter ma faiblesse, et d’en payer le prix, la peur, en espérant qu’elle suscite l’indulgence, et que les autres me laissent passer ». Il est terrorisé par les séances de piscine où le maître-nageur le fait plonger jusqu’à épuisement en éloignant à chaque fois un peu plus la perche. Puisqu’il est un garçon sensible dans un environnement hostile, il élabore un incroyable stratagème pour masquer sa fragilité, une mise en abyme – un film dans un film - qui lui permet de prendre de la distance par rapport au monde extérieur dont il se méfie : « Sur le chemin de l’école, j’invente une méthode de protection. J’imite le générique des programmes éducatifs vus en classe, et me mets à ce signal en situation de caméra subjective : j’enregistre les éléments de la réalité autour de moi, tout en imaginant être moi-même filmé et objet d’étude. Le filtre de la caméra imaginaire, derrière laquelle je me projette en pensée, me laisse à croire que je ne suis pas en contact avec le réel, que celui-ci n’est fait que d’une substance fictionnelle, inoffensive. Je fais entrer la vie dans un caisson de décontamination chimérique. Je ne l’en sors qu’au retour de l’école, une fois tout danger écarté, en lançant le générique de fin ». Ce passage m’a rappelé ma propre enfance, la phobie scolaire et une astuce pour dompter ma timidité excessive. J’interrogeais mon reflet dans les miroirs : Suis-je vraiment moi ou ne suis-je qu’une image ? Est-ce que j’existe vraiment ? Pourquoi ne pas construire un autre moi, plus fort, qui oserait répondre aux instituteurs et à mes camarades ?
Dominique est effacé jusqu'à sa rencontre avec Vincent dont la vitalité le séduit. Ils s'admirent mutuellement tout en utilisant l'ironie comme paravent de la pudeur adolescente. Ils écoutent beaucoup de disques ensemble, entretiennent une passion pour la musique punk anglaise et la new wave alors en pleine effervescence et ont le projet de monter un groupe de rock. Puis leur amitié se brise lorsque Dominique s'empare d'un magnétophone, enregistre seul ses premières chansons sur des mélodies improvisées et déménage à Nantes où son père est muté.
A l’école, il a peur des camarades qui se moquent de sa douceur et de sa vulnérabilité et le frappent facilement : « Je ne peux qu’avoir le cran d’accepter ma faiblesse, et d’en payer le prix, la peur, en espérant qu’elle suscite l’indulgence, et que les autres me laissent passer ». Il est terrorisé par les séances de piscine où le maître-nageur le fait plonger jusqu’à épuisement en éloignant à chaque fois un peu plus la perche. Puisqu’il est un garçon sensible dans un environnement hostile, il élabore un incroyable stratagème pour masquer sa fragilité, une mise en abyme – un film dans un film - qui lui permet de prendre de la distance par rapport au monde extérieur dont il se méfie : « Sur le chemin de l’école, j’invente une méthode de protection. J’imite le générique des programmes éducatifs vus en classe, et me mets à ce signal en situation de caméra subjective : j’enregistre les éléments de la réalité autour de moi, tout en imaginant être moi-même filmé et objet d’étude. Le filtre de la caméra imaginaire, derrière laquelle je me projette en pensée, me laisse à croire que je ne suis pas en contact avec le réel, que celui-ci n’est fait que d’une substance fictionnelle, inoffensive. Je fais entrer la vie dans un caisson de décontamination chimérique. Je ne l’en sors qu’au retour de l’école, une fois tout danger écarté, en lançant le générique de fin ». Ce passage m’a rappelé ma propre enfance, la phobie scolaire et une astuce pour dompter ma timidité excessive. J’interrogeais mon reflet dans les miroirs : Suis-je vraiment moi ou ne suis-je qu’une image ? Est-ce que j’existe vraiment ? Pourquoi ne pas construire un autre moi, plus fort, qui oserait répondre aux instituteurs et à mes camarades ?
Dominique est effacé jusqu'à sa rencontre avec Vincent dont la vitalité le séduit. Ils s'admirent mutuellement tout en utilisant l'ironie comme paravent de la pudeur adolescente. Ils écoutent beaucoup de disques ensemble, entretiennent une passion pour la musique punk anglaise et la new wave alors en pleine effervescence et ont le projet de monter un groupe de rock. Puis leur amitié se brise lorsque Dominique s'empare d'un magnétophone, enregistre seul ses premières chansons sur des mélodies improvisées et déménage à Nantes où son père est muté.
Adulte, bien que tétanisé par sa vénération pour la
littérature, il persévère à écrire des textes : « écrire consiste peut-être en ça aussi :
reconnaître son impuissance à le faire, et s’y atteler malgré tout ». Il
a l’espoir que les mots couchés sur le papier lui permettront de ne plus vivre
« tel un satellite autour de mon
passé » et de couper, enfin, les liens avec Provins vers laquelle il
ne cesse de revenir. En effet, l’amour du terroir l’incite à se perdre
régulièrement parmi les lieux de son enfance. Il contemple les façades repeintes et les demeures à colombages rénovées. Il
retrouve ainsi « ce paysage minimal
et le vertige qu’il provoque en moi » et se complait à « ausculter le foyer de ma mélancolie ».
Il est au diapason de ce lieu âpre qui lui ressemble : « Nous sommes assortis, unis pour la vie par
une même mélancolie âcre et agressive, un même goût de la poussière et du
marécage, de ce qui recouvre et englue, chacun à l’abri derrière sa forteresse,
guettant l’ennemi depuis les meurtrières, portant sur la plaine le même regard
d’envie et d’inquiétude face à tout ce qui peut en surgir, toute nouveauté
susceptible de bouleverser l’ordre des choses ».
J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce court récit d’à peine
90 pages. Dominique A nous livre une évocation subtile et poétique des lieux
qui le hantent. Nicolas Bouvier, grand écrivain-voyageur suisse, dit dans L’Usage du monde : « On croit qu’on va faire un voyage, mais
bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait ». Cette phrase
correspond bien aux allers et retours du chanteur à l'affut d’un parfum de
nostalgie nécessaire à la composition de ses chansons. Le refrain de son
dernier titre, plutôt désabusé, témoigne d’un regret que je partage : celui de
voir disparaître la beauté de notre société.
« Rendez-nous la lumière
Rendez-nous la beauté
Le monde était si beau
Et nous l’avons gâché ».
Chanson à écouter en live :
http://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=be5e7xA2HGY
« Rendez-nous la lumière
Rendez-nous la beauté
Le monde était si beau
Et nous l’avons gâché ».
Chanson à écouter en live :
http://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=be5e7xA2HGY
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