La liseuse, Robert James Gordon (1877)

Ce site est le journal de mes découvertes au pays des merveilles des arts et des lettres.

Il est dédié à la mémoire de mon père, Pierre-Henri Carteron, régisseur de l'atelier photographique du Centre Georges Pompidou où il a travaillé de 1977 à 2001.

Un cancer de la gorge lui a ôté la voix. Les mots sont restés coincés en travers.

A ma mère qui m'a nourrie du lait de ses rêves.

"Ecrire, c'est rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour" (La part manquante, Christian Bobin).

mercredi 12 mars 2014

Thérèse et Isabelle, Violette Leduc

Documentaire sur Violette Leduc le 12 mars à 22h50 sur Arte 
"La chasse à l'amour"



"L'impudeur ? C'est l'hypocrisie et la dérobade"
Violette Leduc (1907-1972)

Parce qu'elle n'accepte pas le nouveau mari de sa mère, Thérèse, 17 ans, est placée en pension dans un collège pour filles où elle rencontre Isabelle qui l'éveille au plaisir sexuel. Chaque nuit, cachées derrière le rideau de percale de leur cellule de dortoir, elles explorent leur géographie intime jusqu'à l'épuisement en évitant de réveiller leurs camarades de classe et le personnel de surveillance. 

J'ai été surprise et captivée par ce roman de Violette Leduc, écrit en 1946 et longtemps censuré (la version intégrale a été publiée en 2000), dont je ne connaissais pas du tout l'oeuvre. Son écriture singulière, à la fois poétique et crue, est une vraie découverte. Elle utilise des phrases courtes, percutantes et bourrées de métaphores, directement inspirées de ses propres passions homosexuelles, pour tenter de "rendre le plus minutieusement possible les sensations éprouvées dans l'amour physique". Je vous invite à dévorer d'une traite cet ouvrage (140 pages) et le glisser sous l'oreiller de votre compagne ou de votre compagnon. Cela pourrait bien être la parfaite invitation à un échange quant à la qualité d'écoute de vos corps et de leurs sensations.

Voici un florilège de citations tirées du roman :

"La cour fut à nous. Nous courions en nous tenant par la taille, nous déchirions avec notre front cette dentelle dans l'air, nous entendions le clapotis de notre coeur dans la poussière. Des petits chevaux blancs chevauchaient dans nos seins". 

"Elle souleva mon bras, elle se nourrit dans l'aisselle. Ma hanche pâlissait. J'avais un plaisir froid. Je ne m'habituais pas à tant recevoir. J'écoutais ce qu'elle prenait et ce qu'elle donnait, je clignotais pas reconnaissance : j'allaitais". 

"La caresse est au frisson ce que le crépuscule est à l'éclair. Isabelle entraînait un râteau de lumière de l'épaule jusqu'au poignet, elle passait avec le miroir à cinq doigts dans mon cou, sur ma nuque, dans mon dos (…) Elle violait mon oreille comme si elle avait violé ma bouche avec sa bouche. L'artifice était cynique, la sensation singulière. Je me glaçai, je redoutai ce raffinement de bestialité (…) Les doigts d'Isabelle s'ouvrirent, se refermèrent en bouton de pâquerette, sortirent les seins des limbes et des roseurs. Je naissais au printemps avec le babil du lilas sous ma peau".

"Isabelle allongée sur la nuit enrubannait mes pieds, déroulait la bandelette du trouble. Les mains à plat sur le matelas, je faisais le même travail de charme qu'elle. Elle embrassait ce qu'elle avait caressé puis, de sa main légère, elle ébouriffait et époussetait avec le plumeau de la perversité. La pieuvre dans mes entrailles frémissait. Isabelle buvait au sein droit, au sein gauche. Je buvais avec elle, je m'allaitais de ténèbres quand sa bouche s'éloignait. Les doigts revenaient, encerclaient, soupesaient la tiédeur du sein, les doigts finissaient dans mon ventre en épaves hypocrites".


Le sommeil, Gustave Courbet (1866)

Ces tableaux sont tous intitulés Deux amies
En haut à gauche: Albert Marquet (1912)
En haut à droite : Gustave Klimt (1917)
En bas à gauche : Tamara de Lempicka (2 tableaux de 1923)
En bas à droite : Picasso (1965)

A gauche : Deux femmes dans un embrassement, Egon Schiele (1911)
En haut à droite : Un dessin de Foujita (1924)
En bas à droite : Deux filles allongées dans une position croisée, Egon Schiele (1915)

 
La Vie d'Adèle, film d'Abdellatif Kechiche (octobre 2013)
Palme d'Or au Festival de Cannes
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19537141&cfilm=203302.html

Le roman Thérèse et Isabelle entre en résonance avec la passion d'Adèle et Emma mais les scènes de sexe du film, proches de l'esthétique pornographique et débordantes de sécrétions (larmes, morve, éjaculation), n'ont absolument pas le charme du texte de Violette Leduc.  
Violette, film de Martin Provost (novembre 2013)
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19538367&cfilm=193112.html

Violette Leduc, née bâtarde au début du siècle dernier, rencontre Simone de Beauvoir en 1945 à St-Germain-des-Prés. Commence une relation intense entre les deux femmes qui va durer toute leur vie, relation basée sur la quête de la liberté par l'écriture pour Violette et la conviction pour Simone d'avoir entre les mains le destin d'un écrivain hors norme. En 1948, Violette publie L'Affamée : un poème en prose, journal onirique d'une amoureuse, consacré à sa passion pour le Castor (nommée "Elle" tout au long des pages).

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