La liseuse, Robert James Gordon (1877)

Ce site est le journal de mes découvertes au pays des merveilles des arts et des lettres.

Il est dédié à la mémoire de mon père, Pierre-Henri Carteron, régisseur de l'atelier photographique du Centre Georges Pompidou où il a travaillé de 1977 à 2001.

Un cancer de la gorge lui a ôté la voix. Les mots sont restés coincés en travers.

A ma mère qui m'a nourrie du lait de ses rêves.

"Ecrire, c'est rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour" (La part manquante, Christian Bobin).

mardi 10 janvier 2017

Le Poids des secrets, Aki Shimazaki

Les cinq tomes de cette incroyable saga polyphonique, composés par Aki Shimazaki, regorgent d'épisodes qui s'imbriquent à la manière d'un grand puzzle dont on saisit les détails en s'éloignant au fur et à mesure des secrets révélés. Les motifs, pour la plupart issus de l'ikebana (l'art floral japonais) hantent le récit avec finesse et poésie. Le lecteur trouvera, ci-après, un résumé de cette immense histoire d'amour entre deux enfants que le destin sépare, accompagné de l'explication de chacune des couvertures (en rouge).


Aki Shimazaki est une écrivaine 
québécoise née en 1954 au Japon

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Tome 1 : Tsubaki

Namiko est chargée de remettre une lettre de sa mère Yukiko Horibe (ex-survivante de la bombe atomique décédée récemment des suites d'une grave maladie pulmonaire) à Yukio Takahashi (son demi-frère). Elle y confesse avoir empoisonné* leur père, pharmacologue dans un laboratoire à quelques kilomètres de Nagasaki (une coïncidence que la bombe atomique soit tombée le jour de sa mort). La raison de ce crime ? Celui-ci avait une maîtresse (Mariko Takahashi) et les a privés de leur seule véritable histoire d'amour. En effet, les deux enfants s'étaient promis le mariage bien avant de connaître leurs liens de parenté.

* Yukiko a utilisé le cyanure de potassium que son père avalait matin et soir en guise de médicament pour soulager ses maux de ventre.

La couverture : Namiko, enseignante en mathématiques, hérite du magasin de fleurs de sa mère Yukiko qui aimait les camélias (tsubaki en japonais).


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Tome 2 : Hamaguri

Dans ce deuxième tome, le lecteur entend la voix de Yukio à différents âges de la vie. Tout d'abord enfant, lorsque non reconnu par son père, il reçoit des pierres et des crachats, humilié par les enfants du village qui le traitent de bâtard. Sa seule consolation est de jouer avec Yukiko à retrouver les deux coquilles qui forment la paire originale d'un coquillage (hamaguri en japonais). Leurs noms seront inscrits à l'intérieur comme pour sceller leur union. Mais Yukiko part vivre à Tokyo.

Ensuite, Yukio, alors âgé de 14 ans, parle du sort de son père adoptif (Monsieur Takahashi) envoyé par l'armée en Mandchourie où les pharmacologues font des recherches sur les médicaments de guerre. Le père de Yukiko (Monsieur Horibe), venu de Tokyo pour le remplacer, s'installe dans la maison d'à côté. Les enfants se retrouvent et lisent ensemble dans le bois de bambous. Cependant, Yukiko ne reconnait pas Yukio sous ses traits d'adolescent.

Enfin, Yukio est à la retraite. Il est marié depuis trente avec Shizuko (bibliothécaire). Ils ont eu trois enfants dont une fille : Tsubaki (étudiante en archéologie à l'université, appelée ainsi en souvenir de Yukiko, son seul amour de jeunesse).

La couverture : Chaque année lors de la fête des filles, les enfants mangent des coquillages. Le jeu archaïque du kaïawase remonte à l'époque de Heian. Les nobles jouaient avec des coquilles dans lesquelles étaient écrits des poèmes. Plus tard, le jeu consiste à retrouver les paires originales du coquillage (hamaguri). Il n'y a que deux parties qui s'assemblent correctement ensemble, comme un couple qui s'entend bien. C'est le souhait symbolique de rencontrer l'homme idéal de toute une vie. 

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Tome 3 : Tsubame

Dans ce troisième opus, le lecteur entend la voix de Mariko (mère de Yukio) à différents âges de la vie.

Le vrai nom de Mariko est Yonhi Kim. A 12 ans, suite à l'explosion proche d'une usine de médicaments, elle fuit sa maison de Nagoya en compagnie de sa mère (femme de ménage chez de riches japonais) et de son oncle (écrivain et journaliste). Ces deux ressortissants coréens, qui disparaitront dans un tremblement de terre, confient Yonhi à l'orphelinat catholique où elle est rebaptisée Mariko Kanazawa pour sa sécurité.

Mariko y restera jusqu'à ses 15 ans, feignant d'être japonaise. A 18 ans, elle accouche de Yukio (elle est alors la maîtresse d'un pharmacologue) qui sera adopté par Monsieur Takahashi (également pharmacologue). Ce dernier lui a été présenté par le prêtre, surnommé "Monsieur Tsubame", dont elle est la fille (elle l'apprendra dans le journal de sa propre mère).

La couverture : les femmes de l'orphelinat surnomment le prêtre de l'orphelinat "Tsubame" (ce terme désigne une hirondelle en japonais). L'homme est né dans une île du Pacifique Sud où il aimait observer les nombreuses hirondelles qui voyageaient en couple et élevaient ensemble leurs petits. La mère de Mariko rêvait de renaître dans le corps d'un oiseau.


Illustration de Charlotte Gastaut pour le conte d'Anderson Poucette


A la fin, Tsubaki (la fille de Yukio) voit une hirondelle avec Mariko (sa grand mère). Cette dernière lui avait offert le livre Oyayubi-hime, l'histoire de Poucette : une petite fille sauve une hirondelle blessée et part avec elle dans un pays chaud, après avoir subi une misérable vie. Dans un endroit débordant de fleurs, elle rencontre un prince charmant et se marie avec lui.


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Tome 4 : Wasurenagusa

Dans ce quatrième ouvrage, le lecteur entend la voix de Monsieur Takahashi (le père adoptif de Yukio) à différents âges de la vie.

Première partie :

Kenji Takahashi est l'héritier stérile d'une famille illustre d'anciens nobles de la cour impériale. Il décide un jour de vivre seul près de son laboratoire pour fuir sa mère, une femme autoritaire et étouffante qui a déjà brisé son premier couple. Un jour, il décide de faire une bonne action et répare le toit de l'orphelinat dirigé par le père S. Il tombe amoureux de Mariko puis l'épouse, adopte Yukio et affronte la désapprobation de sa mère qui juge douteuse l'origine de la jeune fille (elle est orpheline avec un fils illégitime).

Deuxième partie :

En 1943, Monsieur Takahashi, muté en Mandchourie, est capturé par les Russes et envoyé dans un camp de travaux forcés en Sibérie. Quatre ans plus tard, il revient au Japon et retrouve Mariko et Yukio qui ont survécu à la bombe sur Nagasaki. Le couple fête ses 46 ans de mariage et poursuit sa vieillesse chez Yukio (il a acheté un maison avec sa femme à Kamakura).

Monsieur Takahashi se rend au cimetière du Temple S. pour honorer la tombe de son ancienne nurse Sono Wasurenagusa (1871-1933). Il y rencontre son fils devenu bonze (les enfants jouaient ensemble lorsqu'ils avaient 10 ans). Celui-ci apprend à Monsieur Takahashi qu'il est un enfant adopté (son père était stérile !) et que Sono était sa vraie mère (elle l'a abandonné à cause d'une grave maladie cardiaque). A la fin du roman, il se rappelle les fleurs bleues dans la région d'Omsk en Sibérie et observe émerveillé un couple d'hirondelles installées dans le jardin tandis que Mariko pense au prêtre étranger qui aimait ces oiseaux.

La couverture : A l'orphelinat, Monsieur Takahashi a le coup de foudre pour Mariko et son bouquet de myosotis (wasurenagusa en japonais). Au Moyen-Age, le chevalier Rudolf se promenait avec sa belle Berta au bord du Danube. Il voulut lui cueillir des petites fleurs bleues sur la rive mais tomba dans le courant rapide. Avant de se noyer, il lança les fleurs à Berta en lançant : "Ne m'oublie pas !" (signification de cette fleur).

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Tome 5 : Hotaru

Première partie :

Le lecteur entend cette fois-ci la voix de Tsubaki à 19 ans (fille de Yukio). Elle habite un appartement à Tokyo, travaille le matin dans un magasin de fleurs et étudie l'archéologie l'après-midi à la bibliothèque de son quartier.

Chaque week-end, Tsubaki rentre chez ses parents à Kamakura pour s'occuper de Mariko, sa grand-mère et confidente âgée de 84 ans. Celle-ci est en mauvaise santé, suite à une chute sur le verglas. Victime d'hallucinations peuplées de lucioles (hotaru en japonais), elle raconte à sa petite-fille que dans sa jeunesse, elle a été témoin de l'empoisonnement de Monsieur Horibe (le mari de sa voisine et son ancien amant et collègue de bureau). Il frappait le mur mitoyen jusqu'à ce qu'elle le retrouve allongé mort sur le plancher, les yeux ouverts, un liquide blanc coulant de sa bouche. Elle n'a jamais dénoncé la fille de Monsieur Horibe, l'auteure du crime, car elle se sentait capable de le commettre à sa place. En effet, cet homme a comploté pour éloigner Monsieur Takahashi, son rival, en Mandchourie.

Deuxième partie :

Le lecteur entend la voix de Mariko (la grand-mère) qui se souvient de la luciole rapportée un jour par Monsieur Ryôji Horibe (son amant). Il a refusé de reconnaître leur enfant (Yukio) et s'est marié avec la fille d'un médecin connu à Tokyo, choisie par ses parents (Madame Horibe a accouché de leur fille, Yukiko, trois mois plus tard).

Troisième partie :

Le lecteur entend à nouveau la voix de Tsubaki qui a écouté toute l'histoire racontée par sa grand-mère (l'empoisonnement de Monsieur Horibe). A la fin du roman, elle espère rencontrer quelqu'un de spécial dans sa vie. Elle prie sur la tombe de son grand-père pour qu'il vienne chercher sa femme : "Sinon, elle va errer sans savoir où aller, comme une luciole perdue".

La couverture : Tsubaki garde plusieurs lucioles qui émettent de la lumière pour attirer les femelles dans un petit aquarium (l'été, elles se multiplient le long du ruisseau qui coule devant le temple S.). Au Japon, c'est un symbole romantique. En France, ces lumières seraient les âmes des enfants morts sans avoir reçu le baptême. 

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Rencontres photographiques d'Arles 2016 
Charles Fréger


Dans la série Yokainoshima (l'île aux Yôkai, 2013-2015), le photograhe Charles Fréger explore les figures masquées rituelles du Japon : spectres, monstres, démons, ogres et farfadets sont incarnés par l'homme lors de festivals et cérémonies pour tenter de donner un sens aux évènements naturels.


J'ai choisi la photo ci-dessus car elle illustre à merveille l'univers du Poids des secrets. En effet dans la saga, ce sont les femmes, porteuses de la vie, qui avancent masquées, avec leurs secrets, mais finissent par révéler la véritable nature des liens de parenté sur plusieurs générations.  


J'aime beaucoup ce monstre aux ailes de papiers. Il s'agit peut-être d'un clin d'oeil à la fête de Tanabata (le 7 juillet). Elle a pour origine une légende chinoise qui raconte les amours malheureuses de deux étoiles, celles du Bouvier et de la Tisserande, qui ne peuvent se rencontrer qu'une fois par an, le septième jour du septième mois. L'usage veut qu'à cette occasion, chacun écrive un voeu sur une petite bande de papier de couleur suspendu à une branche de bambou décorée.

Je vous encourage à découvir les autres photos de Charles Fréger : 
http://www.charlesfreger.com/fr/portfolio/yokainoshima-4/

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La photographie japonaise à l'honneur au Festival La Gacilly 2016 

Shoji Eda


Shoji Eda (1913-2000) réside toute sa vie à Sakaïminato, une petite ville du sud-ouest du Japon où il est né. Entre 1949 et 1980, il élabore une série-fleuve dans ses chères dunes de Tottori où il ne se lasse pas de mettre en scène sa famille, ses amis, ses voisins. Il reçoit de nombreux prix et expose notamment à Osaka, Tokyo et au MoMa de New York.

Les deux photos ci-dessous, exposées en plein air au Festival La Gacilly, auraient très bien pu figurer sur la couverture du Poids des secrets. Les enfants tirent sur les manches du kimono de leur mère pour s'amuser mais aussi pour lui arracher une réaction (un secret ?). Le garçonnet cache son visage derrière le dessin : est-ce Yukio que Yukiko n'a pas reconnu ?

Shoji Ueda, Maman est à moi, 1950

Shoji Ueda, "He-No-He-No-Mo-He-No" 
(childish calligraphy), 1949

Lucille Reyboz

Lucille Reyboz, née en 1973, grandit à Bamako au Mali. D'abord portraitiste, elle réalise plusieurs pochettes de disque pour les labels Blue Note et Verve. Elle publie ses premiers reportages dans Air France Magazine, Elle, Le Monde ... Lauréate de la Fondation Hachette en 2001, elle expose la même année à "Visa pour l'image". Fascinée par le Japon, elle s'y installe fin 2007.

J'ai été complètement séduite par le cliché ci-dessous issu de la série Onsen (ce terme désigne les sources chaudes naturelles). Tel un retour à la matrice originelle, la femme s'abandonne dans l'eau avec calme et volupté.


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Prix de l'illustration 2016
Emmanuelle Houdard pour "Ma mère"

Emmanuelle Houdard, née en 1967 dans le canton du Valais, est une artiste peintre suisse, illustratrice et auteure d'ouvrages pour la jeunesse. Elle a suivi les cours de l'école des beaux-arts de Sion et de l'Ecole d'arts visuels de Genève. Dans l'album "Ma mère", elle met en scène un personnage multiple tantôt jardin, tantôt renarde, tantôt louve. Cette femme mystérieuse et fascinante se dessine à travers l'enfant qui la regarde et la dit.

Le chemin vers toi, dessin à l'inspiration japonaise