La liseuse, Robert James Gordon (1877)

Ce site est le journal de mes découvertes au pays des merveilles des arts et des lettres.

Il est dédié à la mémoire de mon père, Pierre-Henri Carteron, régisseur de l'atelier photographique du Centre Georges Pompidou où il a travaillé de 1977 à 2001.

Un cancer de la gorge lui a ôté la voix. Les mots sont restés coincés en travers.

A ma mère qui m'a nourrie du lait de ses rêves.

"Ecrire, c'est rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour" (La part manquante, Christian Bobin).

dimanche 20 avril 2014

Faillir être flingué, Céline Minard

Ce roman est sélectionné pour la 2ème édition du prix Libraires en Seine (association de 12 libraires de l'Ouest Parisien). Le lauréat sera désigné par un jury de lecteurs, dont je suis membre, le 22 mai 2014.

Céline Minard est née à Rouen en 1969. Elle a étudié la philosophie, exercé un temps le métier de libraire, avant de se consacrer entièrement à l'écriture (pensionnaire de la Villa Médicis en 2007 et 2008). En 8 livres, elle s'est affirmée comme l'un des auteurs les plus passionnants d'aujourd'hui pour la puissance et l'inventivité de sa prose. Faillir être flingué a reçu le Prix du Style en 2013.

Un roman western 

Céline Minard nous embarque dans les prairies du Far-West*(1) à travers le voyage d'un groupe de pionniers*(2) qui espèrent faire fortune dans les territoires du Nouveau Monde au XIXe Siècle. Quand ils parviennent sains et saufs aux abords d'une ville naissante vers laquelle toutes les pistes convergent, ils se mettent courageusement au travail, défrichent le sol, cultivent la terre, élèvent du bétail et bâtissent leurs maisons et leurs commerces. Il serait inutile de vous livrer un résumé de cette épopée fondatrice tant elle fourmille d'évènements inattendus. En revanche, je dégaine ici un bref portrait des personnages en guise de carte-repère lors de votre futur voyage. Je doute que vous soyez flingué de fatigue en lisant cet ouvrage. Pour ma part, le lyrisme de l'auteur et la constante qualité de son style m'ont transportée dans les décors merveilleux de la Mer de Sable*(3) de mon enfance. J'ai remonté le temps où les cow-boys et les indiens me fascinaient avec la superbe de leurs chevaux et de leurs costumes.


Une galerie de personnages solidaires

La famille McPherson : La mère de Brad (l'aîné) et de Jeffrey (le cadet) meurt dans le chariot attelé aux boeufs en route vers l'Ouest. Les deux frères adoptent Xiao Niù (une orpheline qui deviendra poète et guérisseuse) tandis que Josh (le fils de Brad) disparaît à la suite d'une tempête. Après des jours de recherches, ils le retrouvent blessé et fiévreux près d'une rivière. Tous rejoignent la ville et reprennent une quincaillerie. Ils construisent ensuite une ferme et une étable pour élever une truie, des dindons et quelques canards. Jeffrey se rend à la grande foire d'automne des indiens Dakota, dirigés par le vieil Orage-Grondant, et troque des couvertures en laine contre des peaux de castors lustrés, de bisons blancs et d'élans.

Zébulon est un ami proche des McPherson (il a sauvé Josh). Il monte une entreprise de bains publics où il embauche quatre masseurs chinois (ils possèderont leur propre blanchisserie). Il devient l'amant de Sally (la tenancière du saloon qui supervise la distribution d'alcool, les parties de poker et la fréquentation des prostituées).

Elie Coulter est l'âme sensible du roman. Il escorte la diligence de Miss Arcadie Craig (une musicienne itinérante) attaquée par la bande de Quibble (un truand qui court les plaines). Il scalpe l'ennemi de la tribu des indiens Pawnees qui l'invitent dans leur campement et le surnomment "Baguette-de-crin-noir" (l'archet de la contrebasse d'Arcadie, récupéré en troussant Quibble, est attaché à sa taille). Enfin, il tombe immédiatement amoureux d'Ilse lorsqu'il arrive en ville.

Nils Antulle (le pourvoyeur de lits et gardien de troupeaux) possède des tentes sous lesquelles il loge les sans abris contre des services. Isle et Cristophia (ses deux filles) travaillent la laine des moutons tandis que Bird Boisverd (son employé) l'aide à s'occuper du bétail dans le corral et les pâturages.

Eau-qui-court-sur-la-plaine (une indienne dont le clan a été décimé) est accompagnée dans tous ses déplacemens par Gifford. Celui-ci décide un jour de vivre seul en ville où il construit une maison en bouteilles de verre. Il vit à l 'indienne vétu d'un pagne et d'une cape. Il dessine des aigrettes comme le naturaliste Jean-Jacques Audubon*(4).

Les autres héros sont des commerçants : Silas (le barbier), Pat Fitzpatrick (le boucher irlandais) et Franklin (l'armurier).


***** Notes *****

*(1) : Les pionniers, dont la plupart étaient anglos-saxons et français, fuyaient leur pays à cause de la pauvreté ou des persécutions diverses. Mais des Chinois, des Mexicains et des Noirs (anciens esclaves émancipés) sont aussi venus tenter leur chance sur la côte Ouest en convois de chariots. Ils s'aventuraient sur des pistes régulièrement attaquées par des détrousseurs et des Indiens. Ils devaient franchir la barrière naturelle des Rocheuses. En 1869, s'est ouverte la première ligne de chemin de fer transcontinental : elle reliait les villes de Sacramento et d'Omaha. Les villes se sont développées tout au long des voies ferrées. En 1868: la ruée vers l'or démarre en Californie.

*(2) : Le territoire couvre toute la région qui se trouve au-delà du grand fleuve Mississipi jusqu'à l'Océan Pacifique. 

*(3) : La Mer de Sable est un parc d'attractions situé à 23 km de Roissy, au coeur de la forêt d'Ermenonville dans l'Oise. Il propose des aventures autour de trois thèmes : Le Far-West, La jungle, Les Mille et Une nuits : http://www.merdesable.fr/

*(4) : Jean-Jacques Audubon (ou John James Audubon aux Etats-Unis) est né en 1785 aux Cayes (Saint-Domingue) et mort en 1851 à New York. Il est ornithologue, naturaliste et peintre américain d'origine française, naturalisé en 1812, considéré comme le premier ornithologue du Nouveau Monde.

Grande aigrette, Jean-Jacques Audubon in Birds of America (publié entre 1827 et 1838)



***** Le Chemin de la montagne de pluie *****

Parallèlement au livre de Céline Minard, j'ai lu avec beaucoup de plaisir La Montagne de Pluie. 

Navarre Scott Momaday, né le 27 février 1934, est le fils unique du peintre Alfred Morris Momaday (indien Kiowa) et de l'enseignante Natachee Scott Momaday (Cherokee). A 12 ans, sa famille déménage à Jemez Pueblo au Nouveau Mexique. Il étudie les sciences politiques et obtient un doctorat de littérature anglaise et américaine. Depuis 1982, il vit à Tucson et enseigne l'écriture créative ainsi que la mythologie et la littérature amérindiennes à l'Université d'Arizona

Dans ce court essai en trois parties (l'aube, le jour, le crépuscule), illustré de dessins réalisés par son père, Scott Momaday transcrit les histoires orales et les écrits tribaux dont lui ont fait part ses frères indiens, en particulier Mammedaty, son grand père, un puissant guérisseur de la fin du XIXe siècle. La montagne de pluie est un tertre isolé qui surgit de la plaine d'Oklahoma, au nord et à l'ouest de la chaîne Wichita. C'est l'antique point de repère du peuple des Kiowas qui règnent sur les plaines du Sud pendant un peu plus d'une centaine d'années (l'âge d'or est de 1740 à 1840, le déclin commence à partir de 1875).

Les Kiowas sont un peuple de chasseurs et de guerriers, habillés de somptueuses tenues en daim brodées de perles, qui vénèrent le Soleil à travers l'effigie de "Tai-me". Ils élèvent des chevaux, apprécient la bonne viande des bisons (la représentation animale de l'Astre du jour), recueillent l'eau de pluie pour l'entretien des cheveux, fabriquent des flèches rectifiées avec les dents et célèbrent la nature grâce à des chants, des danses, des prières et parfois des sacrifices d'animaux pour calmer les esprits (celui de la tempête par exemple). La vie des femmes est dure et peu échappent à leur condition sauf Kau-au-ointy, l'arrière grand-mère de l'auteur, une captive mexicaine amenée de son pays lorsqu'elle avait huit ou dix ans : "On dit qu'elle suscitait la réprobration  car elle refusait de jouer le rôle de la femme kiowa. Elle s'était sortie de l'esclavage et était devenue un personnage dans la tribu. Elle possédait un grand troupeau de bovins et savait monter à cheval aussi bien que les hommes. Elle avait les yeux bleus".


En 1834, l'artiste peintre George Catlin voyage chez les Kiowas. Il les décrit comme grands, droits, souples et gracieux avec des traits fins et classiques et beaucoup d'allure. A propos du grand guerrier Kotsatoah (portrait de gauche), Scott Momaday dit "Son port de tête est ferme et dans son regard se mêlent étonnement et tolérance infinie. On dit qu'lil était haut de plus de deux mètres et pouvait, à pied, renverser et tuer un bison."

***** Portraits de grands chefs indiens *****



***** La controverse du Mont Rushmore *****

Photo postée le 7 avril 2012 sur la page Facebook de Julian Lennon
(chanteur et photographe, fils du célèbre membre des Beatles, John Lennon)

Qui sont les véritables pères fondateurs de la nation américaine ?

Cette photo est une réinterprétation du monument du Mont Rushmore culminant à 1745 mètres dans les collines des Black Hills (Dakota du Sud). Les grands chefs indiens (Red Cloud, Sitting Bull, Chief Joseph et Geronimo) apparaissent ici dans les nuages au dessus du visage des quatre premiers présidents américains : George Washington (le représentant de la naissance de l'Amérique et de sa démocratie), Thomas Jefferson (l'auteur de la déclaration d'indépendance* et l'instigateur de l'expansion du pays : il achète le vaste territoire de la Louisiane à la France en 1803), Theodore Roosevelt (le créateur du Canal de Panama qui joint l'Est et l'Ouest et des Parcs Nationaux) et Abraham Lincoln (il dirige le pays pendant la terrible Guerre de Sécession, la "Civil War", sauve l'Union et participe à l'abolition de l'esclavage).

La Déclaration d'Indépendance est un texte politique par lequel les Treize colonies britanniques d'Amérique du Nord ont fait sécession du Royaune-Uni, le 4 juillet 1776 (de lourds impôts et taxes frappaient les colonies). Depuis, le 4 juillet est devenu la fête nationale des Etats-Unis : l'Independence Day.

La perte des terres ancestrales indiennes 

Cette montagne sacrée est nommée "Six Grandfathers" (Six grands-pères) par les Amérindiens Lakota, des Sioux qui vivent là depuis toujours. Le traité de Fort Laramie en 1868 laisse la région à cette tribu car personne ne veut de ces mauvaises terres ... Jusqu'en 1874 où les Etats-Unis découvrent que cette région possède d'immenses ressources forestières et surtout des gisements d'or. Une guerre de conquête oppose alors les américains aux Lakota de 1876 à 1877 (bataille de Little Big Horn). Les indiens la perdent ainsi que leurs terres ancestrales et sont déportés dans des réserves. La montagne porte ensuite le nom de Charles E. Rushmore, un homme d'affaires et juriste, qui fut envoyé en mission dans la région pour vérifier la validité de titres de propriété de plusieurs mines. En 1971, les membres des mouvements indiens occupent le monument, le baptisant "Mont Crazy Horse", pour protester contre la promesse non tenue des Blancs et une certaine forme de racisme (les présidents surplombent la terre amérindienne dont ils ont tous assisté au vol). 

Le monument sculpté par Gutzon Borglom

Dans la photo ci-dessous, Gutzon Borglum travaille sur la maquette du Mont Rushmore. Le monument d'une hauteur de 18 mètres sera réalisé par 400 ouvriers entre 1927 et 1941 dans un granit d'une exceptionnelle qualité (le batholite) qui offre une résistance adaptée au poids des sculptures avec une érosion très lente.


L'artiste, né en 1867 dans l'Idaho (famille d'immigrants danois), commence par travailler dans un atelier de lithographie en Californie puis il étudie la sculpture en Europe et notamment en France où il suit les cours de l'Académie Julian et de l'Ecole des Beaux-arts à Paris. Il est influencé par le travail de son ami Auguste Rodin. Il a 57 ans lorsque l'historien Doane Robinson lui confie son projet de représenter les grands héros américains et chefs indiens de la conquête de l'Ouest. Le sculpteur lui propose un autre sujet, plus patriotique, ayant pour thème les grands présidents, pères fondateurs de la nation américaine.

***** Actuellement au musée du Quai Branly : "Indiens des Plaines" *****

L'exposition rassemble 133 objets et oeuvres d'art reprenant les traditions esthétiques des indiens des Plaines au fil d'une longue histoire du 16ème au 20ème siècle.


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